Le Burkina, un territoire condamné à la pauvreté, une population courageuse…
Présentation des aspects géoéconomiques puis humains de ce pays sahélien, sous l’angle de la pauvreté au quotidien, de ses causes et de ses effets, immédiats et profonds.
Mon propos est d’essayer de vous décrire des réalités qu’il est bien difficile de comprendre dans une société occidentale, septentrionale devrait-on dire plutôt. Je vais donc tenter, par des illustrations verbales, des anecdotes vécues, de vous faire partager un peu de ma passion pour ce pays et gommer au passage quelques idées reçues. Si un Japonais quitte son pays pour aller en Bosnie, il dit à ses amis et voisins qu’il va en Europe. Et c’est vrai.
Mais s’il revient en disant qu’il connaît l’Europe, c’est faux. Surtout s’il n’y a passé que 15 jours et dans un hôtel de luxe… C’est pourtant ce qui risque d’arriver, et c’est comme cela qu’au Japon, certains vont croire qu’en Europe : les femmes portent le voile, les paysans cultivent avec des charrues à bœufs, les gens s’entretuent dans les villes et villages… Méfions-nous donc des généralisations et des raccourcis. Le Burkina n’est pas l’Afrique. Le Congo « ex-Zaïre » à lui seul est plus grand que toute l’Europe. L’Afrique est un continent, beaucoup plus vaste et beaucoup plus varié que l’Europe, il enjambe les deux tropiques et l’équateur et profite même d’un climat tempéré à son extrémité Sud. Au Burkina Faso, vous ne trouverez ni les famines éthiopiennes, ni les guerres rwandaises, ni les épidémies congolaises, ni les dictatures du Maghreb. Pas plus que vous ne verrez les grandes exploitations agricoles du Zimbabwe, les mines de diamant du Congo, les réserves pétrolières du Nigéria, les ressources touristiques du Kenya ou les buildings du Cap. Non, le Burkina est un pays profondément rural, quatre-vingt cinq pour cent des Burkinabè vivent au village, ou « en brousse », et quatre-vingt dix pour cent vivent des revenus de l’agriculture et de l’élevage, donc une bonne part même des « citadins ». Or les conditions géo climatiques sont très défavorables à l’agriculture. Au Burkina, vous verrez une terre rouge que des hommes, des femmes, des enfants, beaucoup d’enfants, parcourent à pied ou à vélo, inlassablement, écrasés de soleil ou étouffés de moiteur, selon la saison, mais debout, toujours en mouvement, à la recherche de quoi assurer l’ordinaire …
. Un territoire condamné à la pauvreté
Si vous quittez Lyon, marchez plein sud, avec constance, vous découvrirez, juste à la sortie du Sahara, la borne frontière « Bienvenue au Burkina ». Vous enjamberez quelques dernières petites dunes et vous apercevrez quelques arbres épars, comme jetés là par un éternuement divin. Oh pas des pommiers couverts de fruits, non, des troncs torturés, de baobabs ou d’acacias. En poursuivant votre route vers le Sud, vous finirez par trouver des champs, du mil ou du sorgho, c’est tout ce que la terre peut offrir aux hommes qui se courbent sous le soleil avec leur houe pour permettre à l’eau de se marier avec la terre. Vous traverserez de grandes étendues rouges rocailleuses, c’est de la latérite, une roche qui a été de l’argile, sur laquelle le soleil et les pluies violentes ont trop frappé. Quand vous atteindrez le centre du pays, si vous passez là juste après les trois mois pluvieux, vous verrez maintenant, en plus du mil et du sorgho, des champs de maïs, et, en descendant encore, du coton, et enfin des forêts. Oh ce n’est pas l’Amazonie, plutôt la garrigue, même si vous êtes désormais dans la partie la plus fertile du pays. Vous pouvez aussi préférer venir en avion. Vous atterrirez de nuit parce que l’air est tellement chaud en journée qu’il n’est pas assez porteur pour permettre aux avions de décoller et atterrir en toute sécurité. Le commandant de bord vous annoncera qu’il fait 35, 38 ou 40 °. Quand les portes de l’avion s’ouvriront, vous sentirez l’odeur de la terre surchauffée, brûlée par le soleil. Le temps de récupérer vos bagages sur le tapis roulant vous aurez perdu 1 litre d’eau.
Vivre de l’agriculture en zone soudano-sahélienne
Une saison sèche, sans une goutte de pluie pendant six à dix mois dans l’année, selon les régions du pays, des terres très peu fertiles parce qu’érodées par des conditions géo-climatiques extrêmes. Un relief très plat et quasiment pas de cours d’eau permanents donc très peu de possibilités d’irrigation. Toute la moitié nord du pays est considérée comme impropre à la culture ; elle est pourtant peuplée, d’éleveurs bien sûr qui nomadisent avec leurs troupeaux à la recherche de maigres pâturages, mais aussi d’agriculteurs qui s’échinent à travailler la terre à la main pour en extraire de quoi se nourrir. Dans le meilleur des cas, c’est-à-dire si la pluie est venu assez tôt, n’a pas connu d’interruptions durables, a permis aux cultures d’arriver à maturité et ne les a pas inondées par la suite, si les nuages de criquets ne sont pas passés par là, si les singes ou les phacochères ne sont pas venus dévaster les champs, si les rongeurs et les parasites ne prennent pas plus que leur part, si les personnes valides de la famille ne sont pas tombées malades au moment où il fallait procéder aux sarclages ou aux récoltes…. le paysan va pouvoir engranger dans les greniers en terre et paille de quoi assurer le minimum vital de sa famille, deux sacs et demi de céréales par personne et quelques ingrédients pour la sauce qui accompagnera la bouillie de céréale : arachide, gombo, oseille… Une seule saison des pluies, cela signifie une seule récolte possible. En Côte d’Ivoire, le climat offre deux saisons des pluies permettant ainsi deux récoltes : l’une pour assurer l’autosubsistance alimentaire, l’autre pour dégager un revenu monétaire, d’autant que l’humidité permanente de l’air permet des cultures plus rémunératrices (café, cacao) impossibles à produire au Burkina. Les familles d’agriculteurs doivent se procurer un revenu monétaire, même minimum, pour acheter : le sel, les vêtements, les extras alimentaires pour les fêtes et cérémonies familiales (baptêmes, mariages, funérailles…), une torche et des piles, un vélo pour tous les déplacements familiaux… mais aussi pour pouvoir scolariser les enfants, avoir recours au dispensaire quand un membre de la famille tombe malade, s’équiper en matériel agricole : bœufs, charrue, charrette, âne… améliorer un peu les conditions de logement… Il faut pratiquer pour cela une culture dite de « rente », un terme bien inadapté à la situation puisque loin d’assurer un revenu régulier ou sûr, soumis aux mêmes aléas climatiques et pratiqué sur les mêmes terres infertiles. La principale culture de rente au Burkina est le coton qui constitue cinquante pour cent des exportations du pays. Une société, héritière de celle qui a introduit la culture du coton à l’époque coloniale, contrôle toute la filière. Elle fournit à crédit aux groupements de producteurs de coton les semences, engrais et pesticides, elle ramasse ensuite le coton graine et paie aux groupements la différence entre les intrants consommés et la récolte produite. C’est elle qui fixe les prix et les conditions de livraison et de ramassage. Pour la campagne agricole qui vient de commencer, le prix d’achat aux producteurs de coton est fixé à 175 Francs CFA le kilo de coton de première catégorie. Le producteur américain lui, au bout de son champ, le coton lui est payé trois à quatre fois plus cher, grâce aux énormes subventions américaines, ce qui provoque une surproduction et entraîne la chute des cours mondiaux. Pour s’attirer les bonnes grâces d’un lobby de grands planteurs du Sud, le gouvernement américain condamne à la misère des millions de petits producteurs ouest-africains. Pour en produire et récolter une tonne, il faut exploiter un hectare de terre à deux en moyenne pendant les 6 mois qui vont des premières pluies à la fin de la récolte. Cette tonne sera achetée 175.000 Francs CFA, 267 Euros, sur lesquels seront prélevés le prix de 3 sacs d’engrais, un sac de semences et un bidon de pesticide, soit une valeur d’intrants pris à crédit de 55.000 Francs CFA, 84 Euros. Cela fera un revenu net de 120.000 Francs CFA, 183 Euros, soit 15 Euros par mois par travailleur. Mais les cultivateurs sont devenus dépendants de cette source de revenu, aussi maigre soit-elle, et il arrive qu’ils se mettent en danger en donnant la priorité dans les travaux agricoles à la culture du coton par rapport à leurs productions vivrières, notamment en les semant en premier. Si la saison des pluies est trop courte, les céréales semées plus tard ne produiront presque rien. Ce fut le cas l’année dernière. Actuellement, les greniers sont pratiquement vides et les gens n’ont pas de quoi acheter. Ils ont le choix entre avoir recours aux usuriers qui leurs fournissent un sac de céréales maintenant et en récupèreront deux dès la récolte, dans 4 ou 5 mois, ou passer les 3 mois de gros travaux des champs en se nourrissant de racines, feuilles et fruits sauvages à peine comestibles. Ils feront sans doute un peu des deux, en tout cas dépasseront rarement un vrai repas par jour pendant cette période. La terre du Burkina ne peut nourrir ses 13 millions d’habitants qui, comme ils n’ont pour la plupart pas non plus de revenus suffisants pour acheter ce qui leur manque, vivent dans un état de malnutrition généralisée, sans vraiment souffrir de la faim puisque les céréales remplissent l’estomac mais ne consomment pas la ration calorique qui leur est nécessaire, et notamment très peu de protéines. De faibles rendements, un travail très dur, car très peu mécanisé, l’agriculture burkinabè a cependant le mérite de faire vivre quatre-vingt cinq pour cent de la population qui n’a aucun autre moyen d’assurer sa subsistance.
Aucune autre ressource
Parce qu’en effet cette incapacité de la terre à nourrir ses habitants, malgré un travail acharné, ne serait pas si grave si d’autres sources de revenus permettaient à sa population de vivre décemment. Mais moins de cinq pour cent de la population active dispose d’un emploi salarié. Et à des niveaux de salaires bien faibles puisque le SMIC mensuel est à moins de quarante trois Euros. Soixante pour cent des salariés, du public comme du privé, gagnent moins de cent-cinquante Euros par mois. La moitié des salariés sont des fonctionnaires, essentiellement dans l’Education nationale.
Il y a donc très peu d’emplois industriels, deux pour cent seulement de la population active, et ils sont souvent saisonniers puisque l’industrie est essentiellement agroalimentaire : l’égrenage du coton, la culture de la canne à sucre et du tabac, les huileries et savonneries à base de graines de coton et d’arachide. Une cimenterie, une usine de montage de vélos et mobylettes, quelques fabriques de tôles et fers pour la construction complètent le tableau industriel du pays. Le Burkina souffre de nombreux handicaps pour le développement de l’industrie : c’est un pays enclavé, sans accès maritime, sans ressource énergétique. Une étude publiée dans Jeune Afrique Economie afin d’inciter aux investissements étrangers en Afrique indiquait les coûts de production des différents pays. Au Burkina, tous les coûts y étaient les plus élevés (énergie, eau, transport, construction), tous, sauf un coût qui était le plus faible : celui de la main d’œuvre. Vous comprenez ce que cela veut dire pour les habitants : tout est cher sauf le revenu du travail. Le secteur privé est surtout informel, avec tous les petits métiers en ville : cireurs de chaussures, pousseurs de charrette pour la livraison de matériaux ou produits alimentaires, métiers de la construction, de l’artisanat, gardiennage, petit commerce qui dégage des revenus dérisoires, quelques bananes ou quelques paquets de cigarettes à vendre justifient de passer sa journée en plein soleil au bord des routes pour gagner quelques centimes d’euro. Comme en brousse, la chasse, la cueillette et la coupe de bois procurent un petit revenu complémentaire aux familles. Si le sous-sol regorgeait de pétrole et de diamant, ou même de charbon ou de gaz…. l’Etat pourrait financer des investissements pour permettre des créations d’emplois.
Mais il n’y a rien de tout cela. La dépendance énergétique au pétrole est totale, et la situation actuelle du cours mondial provoque une inflation : augmentation de l’électricité de vingt pour cent en décembre, du prix de l’essence, donc des transports en général, donc de tous les biens transportés. Alors que les revenus, eux, n’augmentent pas. L’enclavement du pays, sa situation géographique loin des côtes, est aussi un grave handicap. Il augmente encore les coûts d’approvisionnement en énergie. Le réseau de transport, routier et ferré, est insuffisant ; il coûte très cher à bâtir et à entretenir. Le seul combustible présent est le bois, et c’est une ressource en diminution constante sous l’effet de l’aridification du climat et de la pression humaine. Le secteur minier ne représente que cinq pour cent d’un maigre PNB. La présence d’or un peu partout sur le territoire est trompeuse, ce ne sont que de maigres filons de poussière d’or, inexploitables autrement que de manière artisanale. Les réserves de manganèse à l’extrême nord du pays ne sont pas exploitables du fait des coûts de transport. Le pays ne peut pas financer ses investissements en infrastructures. Il est dépendant pour cela de l’apport extérieur d’argent, que ce soit par la coopération à différents niveaux ou par le recours à des emprunts internationaux qui augmentent sa dette et l’obligent à mettre en œuvre des politiques économiques dictées de l’extérieur.
Des politiques économiques impuissantes
Depuis les errements de son premier Président, la Haute-Volta puis le Burkina Faso ont toujours connu des politiques budgétaires très serrées. L’Etat ayant des recettes très faibles et les besoins sociaux étant immenses, l’histoire du Burkina est ponctuée de crises sociales qui ont amené des changements de dirigeants. C’est d’ailleurs l’un des rares pays africains où les fonctionnaires sont payés régulièrement, peu mais régulièrement. La politique volontariste menée pendant la période révolutionnaire, de 1983 à 87, reposait sur l’idée que le pays ne serait jamais compétitif sur le plan international et prônait le fait de compter sur ses propres forces, avec l’espoir d’atteindre l’autosuffisance, au moins alimentaire, comme base première de son développement. « Consommons Burkinabè ! » était un de ses mots d’ordre. Depuis le début des années 90, les réformes imposées par accord avec le Fond Monétaire International, pour bénéficier de prêts de la Banque Mondiale et autres gros bailleurs internationaux, visent à compter sur le secteur privé pour tirer le pays sur la voie de la croissance. L’Etat est prié de se désengager totalement de la sphère économique sauf pour favoriser la commercialisation et l’intégration dans les échanges internationaux. Mais dans un pays enclavé sans infrastructures de transport développées, les coûts de transport sont prohibitifs, l’exportation de produits frais pour l’Europe nécessite un transport aérien, beaucoup trop cher. Même depuis certaines zones rurales vers les grandes villes les coûts de transport reviennent trop chers par rapport au prix de vente potentiel. L’Etat procède par incitation sur des filières agricoles pour l’exportation. Une filière est encouragée à un moment donné parce que le prix d’achat est intéressant mais il suffit que les paysans s’y mettent pour que les cours chutent : cela a été le cas avec le coton, le sésame, la gomme arabique, le karité… L’Etat ne peut plus amortir les chocs pour les cultivateurs par des caisses de stabilisation comme cela se faisait, les Burkinabè subissent de plein fouet les évolutions des cours mondiaux. Il ne peut plus non plus imposer des quotas à l’importation pour protéger son agriculture, c’est ainsi que le riz et le sucre burkinabè ne se vendent pas puisque le marché intérieur est inondé de produits dont la production est subventionnée dans des pays riches. Le mouton néo-zélandais congelé arrivait moins cher que le mouton vivant du Burkina dans les pays côtiers, Ghana et Côte d’Ivoire. Cela a été l’un des rares bénéfices de la dévaluation de 1994 pour le Burkina, les revenus de l’élevage vers les pays voisins représentent près de vingt pour cent du montant des exportations. Le prétendu marché libre mondial n’est libre que pour les pays les plus riches. Quand les règles libérales du commerce mondial pourraient servir les intérêts des pays les plus pauvres, elles ne sont pas respectées. Les mesures imposées dans le cadre de ce que l’on appelle « l’ajustement structurel » ont entraîné des réductions d’emploi, dans la fonction publique, comme dans le secteur de l’industrie et des services après les privatisations. Or un salarié prenait en charge, directement ou indirectement, une cinquantaine de personnes. L’introduction de la TVA en 1991 puis la dévaluation de moitié du Franc CFA, en 1994, ont occasionné une importante perte de pouvoir d’achat pour tous les salariés, les salaires n’ayant jamais été révisés en conséquence. Pendant ce temps était établi le principe que les soins de santé devaient être à la charge des usagers, la gratuité de l’enseignement disparaissait, même les bénéficiaires de forages ruraux devaient contribuer à leur financement. Alors que de nouvelles taxes étaient instaurées, tous les services publics régressaient ou disparaissaient. Il en a résulté une impopularité de l’Etat en général, ce qui ne peut être bon dans une nation en cours de construction. Mais surtout, ces mesures ont été néfastes pour le niveau de vie des populations. Avec des indicateurs objectifs, on se rend compte que la pauvreté s’accroît, cela est reconnu par les instances internationales elles-mêmes qui ont imposé ces mesures. Se poursuivent cependant ces politiques qui reposent sur la théorie dite « de l’avantage comparatif » qu’est seul censé pouvoir exploiter au mieux le secteur privé, impulsant une croissance économique qui entraînerait automatiquement l’enrichissement des populations. Mais un pays qui n’a que des handicaps comparatifs, que doit-il faire ? C’est une pauvreté qui n’est pas conjoncturelle, ça ne passera pas tout seul ou avec la « main invisible » du marché, c’est une pauvreté structurelle : un pays qui n’a presque pas de ressources minières exploitables, pas d’hydrocarbures, pas de quoi produire d’électricité, quasiment pas d’industries, une agriculture soumise à des contraintes géographiques et à des aléas climatiques qui font qu’elle ne peut même pas nourrir sa population, ne sera jamais en mesure de s’en sortir dans la compétition économique mondiale. Et sa population continuera de souffrir de besoins vitaux : l’accès à l’eau, à une alimentation suffisante, à des soins de santé, même minimum, à une éducation de base pour tous…
Transition
Le lieutenant-gouverneur de la colonie du Haut-Sénégal Niger, écrivait en 1906, à propos de la région Lobi, une des plus fertiles du Burkina… « Nous n’avons jamais espéré faire des recettes ici et nous nous estimerions heureux si en recevant comme impôt une seule poignée de mil ou un simple poulet pour toute une cour, nous avions la conviction que ce geste est bien celui de la soumission à notre occupation. » C’était le constat fait par les autorités coloniales en 1932, le territoire ne pouvait pas s’auto suffire, d’où son rattachement à la Côte d’Ivoire, afin d’utiliser sa population travailleuse pour mettre en valeur là-bas les terres fertiles et construire les infrastructures portuaires et la voie ferrée. La seule richesse du Burkina c’est sa population. C’est ce que résumait si crûment Paul VIGNÉ d’OCTON, un médecin militaire dans la Coloniale puis député à l’Assemblée Nationale française, au début du XXe siècle à propos de la Haute-Volta : « C’est un pays condamné à une irrémédiable stérilité et où il n’est de commerce possible que celui de la chair humaine » !
. Une population courageuse
La pauvreté, on essaie de la définir, entre gens bien nourris, le Programme des Nations Unies pour le Développement fait état de pauvreté relative et de pauvreté absolue…
Au Burkina, la pauvreté c’est quand tu n’oses même plus tendre la main, de peur de faire fuir celui dont tu espères de l’aide. La pauvreté, c’est de retrouver ta femme morte en accouchant chez toi pendant que tu partais à pied essayer de trouver une moto pour l’emmener au dispensaire le plus proche, à vingt-cinq kilomètres. C’est aussi des enfants qui dansent de joie quand on leur sert un repas avec quelques morceaux de viande, ou un adulte qui a les larmes aux yeux quand on lui offre un paquet de sucre.
La situation est humainement très grave
Quelques chiffres suffisent à exprimer l’ampleur du problème :
-Les trois quarts de la population sont analphabètes
-seul un enfant sur trois entre sept et treize ans fréquente l’école primaire ; un sur dix en âge d’aller au collège -Quatre-vingt six pour cent de la population vit en dessous du seuil de pauvreté (fixé à deux dollars américains par jour) -Moins de deux et demi pour cent des ménages vivent avec plus de 200.000 Francs CFA par mois, 300 Euros, pour prendre en charge plus de sept personnes. Pour y vivre, je peux vous dire que c’est pourtant un strict minimum. La vie n’est pas bon marché. -Un enfant sur deux souffre d’un retard de croissance dû à la malnutrition. -Un enfant sur cinq meurt avant l’âge de cinq ans. -Un accouchement sur deux-cent aboutit au décès de la mère, sachant qu’une femme accouche en moyenne sept fois au cours de son existence… -L’espérance de vie est inférieure à quarante-cinq ans, elle est en diminution. Pour parler « Burkinabè », on dit que les gens meurent « au hasarement » !
Comment (sur)vivent les gens ?
Le tableau est tellement désespéré que l’on se demande comment peut-on être Burkinabé ? Comment les gens survivent-ils ? Eh bien, contre toute attente, ils le font gaiement ! Je n’ai pas traversé pays au monde où les gens sont si souriants, où les conversations sont ponctuées d’autant d’éclats de rire, où l’optimisme est autant la règle : « Ca va aller ! » ; « Ca va aller ! » Ce leitmotiv qu’on entend partout, qui est parfois si énervant pour des esprits occidentaux quand rien ne va ! Une autre expression est très courante : « Il n’y a pas de problème ! » Pas de problème individuel en tout cas, tout problème est partagé par le groupe, chacun s’ingénie à trouver une solution de dépannage, et les ressources diverses (moyens, informations, réseaux de relation…) sont mis en commun pour résoudre le problème de quelqu’un.
Par exemple, pour faire soigner quelqu’un de gravement malade, l’un va mettre son moyen de transport à disposition, l’autre indiquer une personne ressource de sa parenté qui est dans les structures de santé, un troisième accompagner dans la démarche, et chacun va cotiser un peu d’argent pour essayer de rassembler une somme suffisante… C’est une vraie solidarité, au quotidien, parce que, dans de telles conditions de précarité, seul on est mort, c’est la condition de la survie de chacun, et chacun le sait !
D’ailleurs, la peine la plus grave qui pouvait être prononcée par les tribunaux traditionnels était le bannissement, pas l’emprisonnement ou la mise à mort, non, le bannissement, l’exclusion du groupe, du réseau familial et villageois, la perte de tous les réseaux de solidarité, c’était la mort sociale, qui entraînait bien souvent la mort tout court à brève échéance… Il y a un proverbe inspiré de la construction traditionnelle : la case est ronde les murs sont en terre. La toiture est en paille, elle est souvent construite au sol puis tous les voisins viennent, forment un cercle, la soulèvent et la placent sur les murs. Le proverbe dit : « On peut construire seul sa toiture, on ne peut la poser seul sur sa maison. » Cela signifie que seul, on est sans toit, sans protection, battu par le soleil et la pluie, à la merci de toutes les intempéries de la vie. Le Béninois Albert TEVOEDJRE, Directeur adjoint du Bureau International du Travail, intitulait en 1978 son ouvrage « La pauvreté, richesse des peuples ». Sa thèse est que l’autonomie créatrice des groupes humains précaires est mieux à même d’engendrer un développement pour le bien-être du plus grand nombre que l’imitation des pays riches. C’est en tout cas quelque chose que l’on peut appréhender au Burkina où un système de valeurs tout à fait original permet la survie au sein d’ :
Une société pluriculturelle harmonieuse
C’est comme si la précarité de l’existence, chacun étant menacé en permanence par la faim et la maladie, engendrait une sagesse collective, la pratique quotidienne de valeurs essentielles à la vie en société. Ce qui frappe d’abord au Burkina, encore plus depuis les tensions mondiales de ces dernières années, c’est une grande tolérance interreligieuse et interethnique. Le Burkina est en effet un melting-pot tropical : soixante deux ethnies et langues, musulmans et chrétiens mélangés, sur un socle animiste plus ou moins perpétué. Les différentes pratiques religieuses coexistent souvent dans une même famille. Dans des couples de religions différentes, les enfants sont initiés aux deux religions et choisissent en grandissant, chacun gardant la liberté de modifier son choix. En dehors de quelques rares zélotes, les Burkinabè sont en effet d’accord sur un point : il s’agit bien du même Dieu, seule change la façon de prier, et là n’est pas le plus important. Les gens sont par exemple tout à fait perplexes devant le conflit israélo-palestinien dont ils entendent les échos à la radio, on m’a interrogée à plusieurs reprises de la manière suivante : « C’est bien le même Dieu qu’ils prient non ? Pourquoi ils se font la guerre ? » Comme s’il était une évidence que s’entretuer au nom de Dieu était la plus grande absurdité sur terre… comment des peuples pourraient-ils ne pas avoir compris cela ! S’informer des coutumes des autres pour ne pas risquer de déranger, choquer ou enfreindre un interdit… est une règle quotidienne. Dès que deux individus se rencontrent il y a un échange sur l’appartenance culturelle de l’autre, échange destiné à éviter de commettre des impairs. Par exemple, la coutume veut que l’on rende visite aux malades. Quand j’étais couchée avec quarante degrés de fièvre lors d’une crise de palu, je n’étais pas ravie d’avoir à me lever pour accueillir mes visiteurs et les rassurer sur mon état de santé. J’ai discrètement fait savoir à quelques voisins que la coutume chez les Blancs voulait qu’on laisse bien les gens se reposer quand ils sont malades. Depuis, quand quelqu’un de mon entourage est malade, je lui rends visite, respectant ainsi sa coutume, et quand c’est moi qui suis malade, les voisins s’informent simplement auprès de mes proches, respectant ma coutume. C’est simple et très efficace. Cette tolérance aux opinions et pratiques des autres semble entraîner une capacité de relativisation générale, une méfiance aux dogmes, qu’ils soient religieux, politiques ou sociaux, un scepticisme, une distanciation avec les messages extérieurs qui se traduit par une grande liberté de pensée, une résistance tout à fait naturelle à l’embrigadement.
Ceux qui ont connu le Burkina sous la période révolutionnaire se souviennent sans aucun doute de la façon qu’avaient les gens de s’interpeller d’un bout de la rue à l’autre : « Eh ! Camarade ! » avec un large sourire et un ton ironique qui en disait long sur la distance qu’ils voulaient garder par rapport aux mots d’ordre officiels.
Ou encore, pour illustrer la capacité de résistance aux manipulations de toute sorte, une blague qui circule beaucoup parmi les élèves : c’est l’histoire d’un enfant au collège à Bobo qui va passer ses vacances chez son père au village. Pendant qu’ils cultivent ensemble le champ familial, le vieux s’informe de ce que l’enfant a appris à l’école. L’enfant lui dit qu’il sait désormais que la terre tourne. Le papa est sceptique mais l’enfant insiste. Quand vient le moment où la rentrée scolaire approche, le petit va demander à son père l’argent pour payer son transport de retour à Bobo. Le vieux lui répond : « Mon fils, si la terre tourne, tu n’as qu’à attendre que Bobo soit arrivé à la porte du village. » Une autre marque distinctive du comportement social Burkinabè, très agréable à vivre, est l’absence de vulgarité, gestuelle ou verbale, et la rareté des insultes ou agressions verbales. En fait elles sont réservées à un cadre bien particulier, celui de ce qu’on appelle la « parenté à plaisanterie », un système social original d’alliance entre ethnies ou entre castes, qui autorise à des familiarités poussées mais suppose aussi une solidarité indéfectible entre ses membres. C’est ce système qui a permis de sauver les Dogons lors d’une grande sécheresse qui dura plusieurs années au dix-huitième siècle. Victimes de la famine dans leurs villages, ils se sont réfugiés chez les Bozos, l’ethnie qui est leur parente à plaisanterie, et qui est une ethnie de pêcheurs, donc qui avait à manger. Chaque famille Dogon a vécu dans une famille Bozo pendant tout ce temps, quand les pluies sont revenues ils sont repartis dans leur falaise. Entre membres d’ethnie parentes à plaisanterie, fusent des insultes ou des blagues désobligeantes, les uns et les autres se traitant fréquemment d’esclave ou de bâtards, certains peuvent même pratiquer le rapt de cadavres contre rançon au moment des enterrements… C’est un exutoire social très efficace dans le cadre d’une société par ailleurs très policée, beaucoup plus que toutes les sociétés occidentales en tout cas. Très peu d’agressivité est exprimée et le respect des règles sociales est généralisé. Le Burkina est un pays en paix, les salutations quotidiennes y font référence constamment. En dioula, la réponse à la question « Comment ça va ? » est littéralement « Il y a la paix ! » Lorsqu’éclate un conflit, des médiations spontanées interviennent, même dans le cadre conjugal ou familial. Les forgerons dans chaque ethnie, en dehors de leur travail du fer et de leurs activités magico-religieuses, étaient chargés de cette fonction de résolution des conflits. Les systèmes de jugement traditionnel reposaient sur la recherche de la justice mais aussi et surtout de l’apaisement entre les plaignants. Au-delà des actes commis, le débat s’attachait à mettre à nu l’origine du conflit et les moyens d’y mettre fin. C’est pourquoi c’est un pays rural sans vendetta ancestrales. Toujours afin de maintenir la cohésion et la paix sociale, dans le cadre villageois, les prises de décision se faisaient par la recherche d’un consensus et non par l’imposition d’un point de vue, même majoritaire. Bien des instances internationales gagneraient à accueillir des Burkinabè au sein de leurs conseils… Parmi les autres vertus burkinabè, il est impossible de ne pas citer l’hospitalité, l’humour, le goût de la causerie, et la gentillesse qui semble être une résultante de tout cela. Mais ce socle de valeurs communes qui permettait d’assurer la survie des groupes humains est bousculé, mis à mal par la coexistence avec un système administratif et légal calqué sur le modèle français, l’urbanisation, la société de consommation, la recherche du pouvoir et du profit. Dans ces nouvelles règles du jeu qu’ils ne maîtrisent pas, les Burkinabè réagissent en développant un art de la débrouille tout à fait exceptionnel qui fait que la population est toujours en mouvement. Par analogie avec la devise nationale adoptée sous la Révolution qui était « La patrie ou la mort nous vaincrons ! » le mot d’ordre burkinabè semble être : « La débrouille ou la mort, nous vaincrons ! » Il existe un verbe pour qualifier cette pratique : le verbe « grouiller », sans doute construit à partir de « se débrouiller » et contenant en plus l’idée d’urgence. « - Je suis passé te manquer trois fois à la maison. – Oui, j’étais en train de grouiller pour inscrire le petit à l’école. » Le burkinabè est sans cesse à la recherche d’opportunité pour améliorer son ordinaire, se procurer un petit revenu complémentaire. Jamais quelqu’un ne voyage sans transporter quelque chose qui a plus de valeur là où il va, ni sans ramener ce qui était moins cher là où il est allé. Dès qu’un événement se produit, tournoi de foot, rassemblement festif ou manifestation publique, de petits marchés spontanés s’improvisent : cigarettes, fruits, arachides, mouchoirs en papier… La mobilité professionnelle est totale, n’importe qui acceptera de s’éloigner à des centaines de kilomètres de sa famille si un emploi lui est proposé. Les couples de salariés séparés pour exercer leurs activités professionnelles sont très fréquents et cela n’est pas considéré comme anormal. Il y a de fortes migrations internes au pays, même de la part des agriculteurs qui se dirigent vers des terres plus fertiles. Jusqu’aux conflits qui ont éclaté ces dernières années en Côte d’Ivoire, dans quasiment toutes les familles les jeunes gens partaient travailler là-bas quelques années, le temps de se constituer un petit pécule pour se lancer dans la vie. C’était devenu presque un rite initiatique, les conditions de vie et de travail y étant difficile pour ces jeunes migrants. Le premier investissement d’un burkinabè, bien avant le logement, est le moyen de transport. Suivant que quelqu’un se déplace à pied, à vélo, à mobylette, à moto ou en voiture, vous connaissez exactement sa situation sociale. Quant aux femmes, qu’elles soient en ville ou en brousse, elles travaillent sans répit, du lever au coucher du soleil : corvées d’eau et de bois pour la préparation des repas, lessives, nettoyage de la maison, soins aux enfants, transformation des matières végétales : beurre de karité, soumbala, pâte d’arachide…, et petit commerce… juste pour compléter le revenu familial afin d’assurer la subsistance quotidienne de la famille. Mais malgré tous leurs efforts, les Burkinabè subissent cette pauvreté sans pouvoir agir et sont persuadés qu’il en sera toujours ainsi. La pauvreté est inscrite dans les têtes. Ce fatalisme de la pauvreté induit un complexe d’infériorité, un manque de confiance en leurs capacités, pourtant démontrées, à faire face à des situations difficiles. Il y a quelques années, lorsqu’avait été médiatisé pour la première fois par le Programme des Nations Unies pour le Développement, sur Radio France Internationale, le classement des pays selon l’indice de développement durable, je me trouvais avec un groupe d’amis burkinabè. Le Burkina était classé avant-avant dernier des 170 pays classés, juste devant la Sierra Leone et l’Ethiopie, deux pays en guerre. Le gouvernement émettait des protestations, remettant en cause le système de calcul des indices. Ils sont tous partis à rire sans pouvoir s’arrêter : « On est bons derniers oui ! Bons derniers ! » En profondeur, le comportement social est altéré par la pauvreté, en tout cas par la conscience de la pauvreté au regard des richesses extérieures que les gens ne connaissaient pas jusque là, d’une part parce que la plupart n’avaient pas accès à des images de l’extérieur, d’autre part parce que ces richesses étaient peu visibles dans le pays. Or ces dernières années, pendant que la majorité de la population s’appauvrissait, une infime minorité a connu, elle, un enrichissement rapide. C’est sans doute l’effet bénéfique produit par les mesures incitatives au développement du secteur privé. On a en effet parfois l’impression que le mot « développement » est utilisé quand il s’agit simplement de faire entrer le maximum de gens dans la société de consommation, avec toutes les frustrations qui l’accompagnent. Ce qu’on appelle le « grillé-mangé » c’est de consommer tout de suite ce qui se présente. Cela vient de la coutume consistant à allumer un petit feu pour griller et manger sur place, dans le champ même, les premiers épis de maïs jeune, en tout début de récolte. Le « grillé-mangé », c’est l’exact opposé d’une politique d’investissement. Cela s’explique facilement par la précarité ambiante, personne ne peut vraiment miser sur un avenir aussi incertain. Mais la recherche du profit immédiat au détriment d’une vue à terme induit des effets très négatifs. On ne peut pas clôturer cette présentation des atouts et handicaps du pays sans aborder des réalités qui font plus mal à entendre, celles des dérives, surtout urbaines et administratives, de la corruption et des détournements, de fonds et de biens. Le verbe consacré pour qualifier de telles pratiques illicites est « bouffer » : « - Il a bouffé tu crois ? » « - Bien sûr ! Il ne reste plus rien dans la caisse ! » Ou « Il a bien bouffé lui, tu as vu le château qu’il a construit ! » Ce terme indique clairement que l’objectif premier est d’assurer la satisfaction des besoins alimentaires. Ces pratiques ne sont pas perçues socialement comme un vol, qui, lui, est très sévèrement puni, mais comme la saisie d’une opportunité, le bénéfice de la ruse, celle du renard dans les fables de La Fontaine. Et chacun espère pouvoir en tirer parti un jour même indirectement. Une expression proverbiale est : « se mélanger au haricot pour avoir de l’huile ». Le haricot est un met de luxe par rapport aux céréales quotidiennes et l’abondance d’huile fait la qualité du plat. Il s’agit donc se mêler aux riches pour engraisser avec eux. Dans la presse, on parle de la « politique du ventre » pour désigner l’inféodation aux puissants, la soumission intéressée, qui contribue à ce que ces pratiques ne soient pas dénoncées, en tout cas pas poursuivies devant les tribunaux. Et l’absence de sanction fait qu’elles se généralisent malheureusement dans le pays.
Elles sont essentiellement liées à l’apport d’argent extérieur, provenant de l’aide, à différents niveaux, j’y reviendrais donc dans la causerie de la semaine prochaine. Mais quand il n’y a pas de possibilité, non seulement de s’enrichir, mais simplement d’assurer sa survie, par son travail, même acharné, que les niveaux de revenus, même salariés, sont si faibles, qu’il est totalement impossible d’épargner, qu’il est même extrêmement difficile de ne pas s’endetter, comment faire ? Les aider ce serait leur permettre de trouver des moyens honnêtes de s’extraire de leur pauvreté sinon, le désespoir guette la société entière, avec le lot de violence qu’il est capable d’engendrer.
Le Burkina, un Pays en voie de disparition ?
J’étais en ville pour faire des courses, je tombe en panne, le temps de faire recharger ma batterie je m’assois dans un maquis, les bars-restaurants en plein air, et j’entends un consommateur qui s’agite, en réaction à une émission de radio : » Pays en voie de développement. Pays en voie de développement. Ils me font rire. Pays en voie de disparition plutôt ! Si nos paysans arrêtent le coton, ce qui va arriver si les cours restent comme ça, le Burkina disparaît de la carte du monde… Un espace blanc sur la carte avec quelques noirs en train de s’agiter dessus. » Voilà, avec l’humour burkinabè type, un bon résumé de la situation. Ce n’est pas pour autant un pays maudit et désespéré, les ressources humaines y sont extraordinaires. C’est plutôt un pays malchanceux et méritant., un pays que la colonisation française a créé de toute pièce sachant qu’il n’était pas viable, après avoir fait éclater ses modes d’organisation traditionnels qui étaient adaptés à sa culture et à ses moyens. En tant que Français, on a donc une responsabilité dans leur pauvreté chronique, mais que l’on décide de l’assumer ou qu’on la rejette, on peut vouloir agir à leurs côtés simplement par fraternité envers des êtres humains qui ont beaucoup à nous apporter si on veut bien faire l’effort de s’imprégner de leurs valeurs. Je ne crois pas vous avoir dressé un portrait misérabiliste de cette société burkinabè, juste vous avoir décrit des réalités de manière la plus objective possible, des réalités que subissent des gens attachants. Et j’espère la prochaine fois pouvoir vous proposer quelques pistes pour les aider à s’en dépêtrer, à apercevoir le bout de leur pauvreté.
Catherine Schadelle - Conférence donnée en mai 2005 à Ecully (Rhône)